Sa vie, son oeuvre

Une courte biographie

Née à Auboranges, près d’Oron, le 19 mars 1860, dans une famille d’agriculteurs, Mary-Adrienne- Emilie Curtat est le troisième enfant de Jean-Louis et Emma Curtat-Perret. Un an plus tard, en raison de difficultés financières, tous déménagent à l’Abbaye de St-Germain à Bussigny, grosse maison rurale avec 90 poses de terrain, pour se rapprocher du frère du père, le pasteur Louis Curtat. Avec sa sœur Thérèse, Mary suit les cours à l‘école Vuillet à Lausanne, effectue en 1876 un séjour d’un an dans une famille de pasteur à Bâle, puis s’occupe de 2 petits frères bien plus jeunes. A 21 ans, elle rencontre le jeune Dr. Auguste Widmer qui vient d’ouvrir son cabinet à côté de la gare de Bussigny, fiançailles le 19 mars et mariage le 20 septembre 1882. Elle aide activement son mari ; on raconte que toute sa robe de noce en fine dentelle blanche a servi à passer les tisanes bienfaisantes réclamées par les paysans malades. Quelques années plus tard, le Dr. Widmer s’installe à Lausanne pour se rapprocher de sa sœur, Mme Fügli, devenue veuve avec 9 enfants ; avec le Dr. Henri Burnier, il crée des consultations gratuites à la rue Caroline. Intéressé par les nouvelles thérapies médicales, le couple effectue des séjours à Berlin puis à Vienne, où lui est nommé directeur de l’établissement des bains de Schönbrun. Rentré à Lausanne, le Dr. Widmer est sollicité pour reprendre la direction de la Métairie en 1892, avant de fonder en 1898 la Clinique La Colline à Territet puis en 1905 la réputée Clinique Valmont à Glion. Celle-ci draine une large clientèle internationale attirée par la clinique et ses soins nouveaux : hydrothérapie, héliothérapie, électrothérapie,...; parmi cette clientèle, la Reine Elisabeth de Belgique pour des séjours en 1913 (du 20 mai au 1er juillet), en 1914 avec son mari (du 27 mai au 12 juillet) et encore en 1921, puis ses enfants Charles en 1919 et Marie-Josée en 1921. Une solide amitié s’installe entre les deux couples dont témoignent les 9 voyages accomplis, pendant la guerre en traversant la ligne de feu, par le Dr. Widmer, le plus souvent accompagné de sa femme, à La Panne dans la villa royale. Mary Widmer-Curtat, qui n’a pas d’enfants, continue à mener une vie sociale très active et effectue, avec son mari, de nombreux voyages lointains : Etats-Unis, Canada, Grèce, Egypte, Suède, Islande, .... Elle fonde ou soutient de nombreuses associations locales parmi lesquelles elle initie en 1916 puis préside l’Association pour le Costume Vaudois, qui, première en Suisse, remet en honneur le costume local.
Mais surtout, dès les premières semaines de la 1ère Guerre Mondiale, elle lance un mouvement d’aide pour l’accueil de réfugiés belges, qui sous son égide se structure en quelques jours d’abord en Comité local, en Comité vaudois puis en Comité central suisse pour devenir « L’œuvre de secours aux réfugiés belges ». Cette activité gigantesque étendue sur 5 ans lui vaudra de nombreux honneurs en Suisse, en Belgique et ailleurs. Mary Widmer-Curtat est nommée Chevalier de l’Ordre de Léopold par l’arrêté royal du 27 mars 1919. Quelques années plus tard, elle sera nommée membre d’honneur de la Société Royale Union Belge-Lausanne et participera avec assiduité à ses séances, où elle sera chaleureusement désignée « maman » et plus tard « grand-maman des Belges ».
Sœur du peintre Louis Curtat, elle constitue aussi avec son mari une riche collection de peintures et sculptures d’artistes suisses et européens qui sera léguée au Musée des Beaux-Arts de Lausanne. Plume alerte, elle écrit aussi des poèmes et quelques livres. Le Dr Auguste Widmer décède en 1939. Mary Widmer-Curtat décède à Lausanne le 29 décembre 1947 dans sa 88ème année.
A propos des funérailles le 31 décembre, la Gazette de Lausanne écrit : « Des parents, des amis, des collaboratrices de l’Œuvre de secours en faveur des enfants belges, des Vaudoises portant costume, Mr. R. de Cérenville, consul, des membres du comité de la Société Royale Union Belge, avec son
drapeau, porté par Mr. Rheindorf, qui s’est incliné trois fois devant le catafalque, ont rendu mercredi matin au crématoire, les derniers devoirs à Mme Widmer-Curtat ; des couronnes cravatées de vert et de blanc et aux trois couleurs belges avaient été envoyées. Le culte a été célébré par M. G. Savary, pasteur de St François, qui a évoqué la vie toute de dévouement, de générosité, de bonne grâce qu’a été celle de la disparue... ».
Un extrait de l’éloge funèbre prononcé par A.T. : « ... On ne dira jamais combien elle fut bonne, généreuse, bienfaisante ; on ne saura jamais tout ce que donna sa main droite, laquelle ignorait ce que distribuait sa main gauche. Innombrables sont les gens qu’elle a obligés matériellement, spirituellement ou moralement, ceux qu’elle a réconfortés, encouragés, sortis d’un mauvais pas, à qui elle a permis de repartir dans une meilleure direction. Elle a fait un bien immense et son nom restera une bénédiction dans bien des milieux. »

L'oeuvre littéraire de Mary Widmer-Curtat

Recueil Poésies « Un peu de rêve, un peu de cœur »
F.Rouge 1902, 153 pages
1924, 303 pages

Petit Libu découvre la vie
Avec Louis Curtat
La Concorde 1941, 115 pages

Les vœux de la Colline et de Val-Mont 1902-1939

Nos souvenirs de la famille royale de Belgique
La Concorde 1937, 137 pages

Textes de chansons
Je te l’avais bien dit
Quand je vais au bois
Des ailes de colombe
Cher pays

Quelques citations choisies

Lettre du 16 août 1918 à Miss Georgie Fyfe (dame écossaise qui gérait le sauvetage des enfants belges en territoire non-occupé et leur envoi par Paris en Suisse, à un moment de découragement) : « Il est difficile quand on est dévoué corps et âme à une affaire, de se dire qu’on n’est qu’un instrument et qu’il faut n’être que cela ».

Lettre en 1918 à Mme Suzanne Bonnard au sujet d’une future conférence: « Je vous avertis que c’est très quelconque cette causerie. Ce sont des petites choses vues par le petit bout de la lorgnette qui ne sera jamais ni microscope ni longue vue. A moi, la médiocrité ! »

Texte rédigé sur son mari en 1936 : « Il ne fit jamais de politique militante, gardant son droit de juger tout seul les gens et les choses ».

Extrait d’un poème adressé en 1934 à Mme Ghislaine de Caraman-Chimay, dame d’honneur de la Reine Elisabeth, à un moment difficile : « Laissez dans le passé tout ce qui fait souffrance ».

Quelques discours

Discours de Noël 1918
Chers amis belges,
C’est dans la joie que nous sommes réunis. La joie de Noël est cette année plus grande, plus douce et plus complète que jamais, puisqu’elle est aussi la joie de la paix victorieuse. Le jour de gloire est arrivé, amis belges, ce jour que vous avez attendu pendant plus de quatre années d’exil, années d’inquiétudes au sujet de vos familles restées au pays envahi ; au sujet de vos soldats sur le front ou en captivité, -années d’incertitudes, d’angoisse pour l’avenir, d’amers regrets d’un passé dont les souvenirs matériels vous étaient ravis par l’incendie ou le pillage.
Combien il fut long ce temps d’épreuve, ce temps d’amertume ! Quel bonheur de n’avoir pas su d’avance que ce serait si long, si long ! Et combien furent pénibles et difficiles ces essais de vous créer chez nous de nouveaux foyers, une vie nouvelle, si loin d’égaler tous les bonheurs perdus ! Nous avons essayé de vous aider un peu, tout en comprenant trop bien que rien ne pouvait remplacer pour vous tout ce que vous regrettiez. Aussi est-ce du fond du cœur que nous nous associons à votre joie d’aujourd’hui ! C’est votre dernier Noël en Suisse !
Cette fois c’est tout à fait sûr, chers amis belges, -votre dernier Noël sur la terre d’exil- et nous vous en félicitons sincèrement ! Là-bas, dans votre Belgique glorieuse, quand sonnera l’heure de Noël l’an prochain, votre souvenir reviendra peut-être pour quelques instants auprès de nous, vous reverrez en esprit nos sapins allumés pour vous, vous entendrez les chants entonnés en votre honneur et vous penserez à cette Suisse lointaine si différente de votre pays, mais qui est, comme la Belgique, jalouse de ses droits et de ses libertés, et prête comme elle à tout sacrifier pour défendre son indépendance. Vous vous direz que les peuples qui ont les mêmes aspirations sont vraiment des peuples de frères et que vous avez laissé en Suisse une famille suisse qui vous aime.
Et vous, chers enfants belges, pour qui nous avons essayé de remplacer pour quelque temps votre vraie famille, en vous donnant avec les soins physiques et les occasions de vous instruire, l’affection (et quelquefois même, les punitions) que vos parents souhaitaient pour vous, vous allez aussi bientôt nous quitter pour rentrer chez vous.
Flamands et Wallons, tous Belges, de vrais Belges, enfants d’un même pays et sujets du même noble et grand roi, enfants belges, grands et petits, dans peu de semaines ou dans peu de mois, dès que l’on pourra rentrer facilement en Belgique et que la vie y sera redevenue un peu plus facile, vous irez reprendre votre place au foyer familial. Plusieurs d’entre vous devront aider à reconstruire ce foyer ruiné, brûlé, dévasté par la guerre. Tous, filles et garçons, vous devrez apporter chez vous l’habitude du travail, la bonne humeur, le courage, pour aider vraiment vos parents et être des jeunes citoyens belges vraiment utiles à leur pays.
J’espère de tout mon cœur que vos parents trouveront que vous avez fait des progrès en Suisse, des progrès sous tous les rapports : caractère, instruction, conduite ! J’espère que là-bas vous mettrez à profit les leçons données par vos maîtres suisses et par ceux qui vous ont soignés et aimés. Ainsi, tout en faisant honneur à la Belgique, vous ferez aussi honneur à la Suisse où vous laisserez tant d’amis !
Je vais vous lire maintenant une lettre qui m’est arrivée hier de Suède et qui vous est adressée par le célèbre auteur suédois Mme Hélène Key. Elle est destinée à tous les enfants belges, et en particulier à ceux dont s’occupe le Comité suédois de Stockholm, .....
Vous voyez, chers enfants belges, qu’en Suède comme en Suisse vos protecteurs attendent beaucoup de vous et espèrent que vous serez vraiment des jeunes Belges dignes de ce nom, dignes d’appartenir à cette Belgique, le pays le plus glorieux du monde maintenant ! Et, en attendant d’aller là-bas réaliser votre mission, mettez à profit le temps qui vous reste à passer en Suisse pour continuer dans la patience, la persévérance et la bonne volonté, vos travaux de maison ou d’école, qui vous préparent pour l’avenir.
Mesdames, Messieurs, amis des Belges, qui assistez à la dernière fête de Noël belge à Lausanne, et qui partagez leur joie après avoir partagé leurs angoisses, je crois être votre interprète en exprimant aux amis qui nous quitteront bientôt, vos chaleureuses félicitations, vos vœux pour un heureux avenir, votre admiration reconnaissante pour leur glorieuse patrie. Unissez-vous à moi je vous prie pour acclamer une fois de plus les nobles souverains belges et la Belgique. Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive la Belgique !
Madame Mary Widmer-Curtat
27 décembre 1918.

Discours à Sa Majesté la Reine des Belges le 11 avril 1919
Madame,
Le bonheur de vous revoir, l’émotion qui faisait défaillir mon cœur à la pensée de ce qu’ont été pour vous les années qui viennent de s’écouler, votre amicale bienveillance et la haute récompense que vous avez bien voulu me remettre de la part de Sa Majesté le Roi, ne m’ont pas laissé la faculté de dire à la Reine le message que je désirais pourtant lui porter de la part de nos Comités suisses de secours aux réfugiés belges.
Veuillez, Madame, me permettre de vous exprimer ce que je n’ai pas pu dire à Bruxelles il y a quinze jours lorsque vous nous avez fait l’honneur inoubliable de nous recevoir au Palais. Nos Comités désirent exprimer à la Reine leur reconnaissance pour la confiance qu’elle a bien voulu leur témoigner en leur confiant des enfants belges. Ils ont été extrêmement touchés, heureux et fiers de recevoir ce précieux dépôt des mains de la Reine et de devenir ainsi un peu ses collaborateurs dans l’œuvre de sauvetage des enfants dont elle s’occupe avec tant d’amour.
Aussi nos convoyeurs ont-ils été confus des remerciements et des récompenses que vous avez bien voulu leur donner, alors qu’ils se sentaient déjà si honorés d’avoir pu faire quelque bien en votre nom....
J’exprime bien mal, je le sais, ce qui remplit nos cœurs et comment dire aussi toute notre gratitude pour l’accueil que nous avons reçu en Belgique ? C’était si inattendu pour nous -qui n’avions d’autre idée que de rendre sains et saufs à leurs parents nos petits protégés- que ces fêtes, ces honneurs de Liège et de Bruxelles nous ont fait vivre dans une féerie merveilleuse dont nous avions peine à nous croire les héros.
Dans quelques jours nous aurons rendu à la Belgique presque tous les chers enfants qu’elle nous avait confiés. Il ne nous reste plus que quelques malades et quelques enfants dont les circonstances de famille permettent aux parents adoptifs suisses de garder, au moins pour un certain temps encore, leurs chers petits protégés. Les derniers enfants de la Reine vont quitter la Suisse le 23 avril pour se rendre à Bruges et c’est le cœur gros que nous voyons s’achever l’œuvre attachante qui nous a aidés à vivre pendant les années de la guerre.
Voilà, Madame, ce que j’aurais voulu vous dire à Bruxelles en vous exprimant le respect, l’admiration, l’absolu et inaltérable dévouement de nos Comités suisses, si fiers d’avoir été vos mandataires. Vive la Reine ! Vive la Belgique !